A l’appel de la Fédération nationale des ports et docks CGT, une nouvelle opération « Ports morts » débute ce mercredi. Afin de protester contre la réforme des retraites, l’action sera menée dans les sept grands ports maritimes français de mercredi à vendredi inclus. Au Havre (Seine-Maritime), le désarroi des professionnels et des entreprises qui dépendent de l’économie portuaire est palpable.
« Cela fait près de quarante jours que la vie du port est fortement impactée. Car lorsque les dockers cessent leur mouvement, ce sont les remorqueurs qui prennent le relais. Avec çà et là quelques jours d’accalmie ou une trêve à Noël, mais cela ne permet pas de travailler normalement », regrette avec amertume Véronique Lépine, la présidente du Groupement havrais des armateurs et agents maritimes.
Entre 200 et 250 escales supprimées
Selon elle, d’ici la fin janvier, le nombre d’escales supprimées oscillera entre 200 et 250 depuis le début des mouvements sociaux. « Et un navire qui ne vient pas, c’est entre 1000 et 2000 conteneurs qui ne passent pas par Le Havre, voire plus ». C’est loin d’être négligeable même si le premier port français pour le trafic des conteneurs en voit passer près de 2,7 millions chaque année.
La baisse d’activité pourrait atteindre entre 30 et 40 % sur le mois de janvier. Avec des conséquences immédiates sur l’ensemble de la chaîne logistique. Erwann Kérourédan est bien placé pour le savoir. A la tête du Club logistique du Havre, il représente 75 entreprises du secteur employant près de 6500 salariés et gérant la bagatelle de 750 000 m² d’entrepôts. « Un port, c’est une chaîne comparable à une mécanique d’horloger très efficace lorsqu’elle fonctionne normalement, mais qui peut vite se dérégler ». Et selon lui, les premiers effets sur l’emploi sont perceptibles, « en particulier sur les CDD et les intérimaires qui doivent rester chez eux ».
Bien évidemment, les perturbations entraînent des retards dans l’acheminement des marchandises. « En temps normal, on peut livrer en trois heures un client de la région parisienne à partir du moment où le bateau est déchargé. En ce moment, on ne peut donner aucune garantie », regrette Véronique Lépine. Cette dégradation du service ne fait pas que des mécontents. « Anvers ou Rotterdam se frottent les mains », déplore Erwann Kérourédan. « Car pour les grands donneurs d’ordre qui travaillent à l’échelle de la planète, Le Havre n’est qu’un point sur une carte. Envoyer leurs marchandises plus au nord n’est pas un problème pour eux ».
« Nous nous retrouvons des années en arrière »
Car au-delà des conséquences à court terme, c’est bien l’image du port havrais qui risque de pâtir de cette instabilité à l’heure où les contrats commerciaux se négocient bien en amont. « Lorsque la confiance est rompue, cela prend des années pour la reconquérir », assure Véronique Lépine qui a déjà connu pareille situation, notamment lors des conflits sociaux liés à la grande réforme portuaire voulue par Nicolas Sarkozy au début des années 2010. « Nous nous sommes battus pour faire revenir ces clients. Et là nous nous retrouvons des années en arrière ».
Tous estiment que la situation a trop duré. Mais tous ont aussi bien conscience qu’ils ne sont que les spectateurs impuissants d’un conflit qui les dépasse. Tout comme le millier de passagers de la compagnie Brittany Ferries qui doit annuler treize liaisons avec Portsmouth d’ici à vendredi. Eux devront simplement passer par Caen ou Ouistreham pour rallier l’Angleterre. Pour l’économie portuaire, la solution sera plus complexe.
Par Laurent Derouet, correspondant à Rouen (Seine-Maritime), Le Parisien